Sons multiphoniques au basson : définition, principes physiques et notations

SONS MULTIPHONIQUES AU BASSON : Définition, Principes physiques et notations

William GOUTFREIND
Compositeur, musicologue, bassoniste
william.goutfreind@laposte.net
http://william.goutfreind.eu

Résumé

Discussion générale sur les domaines de l'analyse physique et de la notation des sons multiphoniques au basson.

1. Introduction

    Il a été dit beaucoup de choses, et à la fois trop peu, sur les sons multiphoniques au basson. Ce champ d'investigation a bénéficié de quelques recherches fondamentales depuis les années 19501, ce qui nous donne quelques bases de connaissances et de réflexions utiles sur le sujet, mais globalement, les recherches sur les sons multiphoniques ont été discontinues dans le temps, et ceci a créé un décalage entre les connaissances acquises sur le sujet, et le potentiel de recherche à mener, notamment avec l'aide des outils informatiques à disposition aujourd'hui.
Nous avons donc un corpus qui, dans une certaine mesure, « décante » les principes acoustiques généraux et les pratiques musicales, mais en revanche ne détermine pas précisément les problématiques liées à l'usage des sons multiphoniques, qu'il s'agisse de trouver tous les sons multiphoniques les plus communs (ou à la sonorité la plus proche) entre le système allemand et le système français, de déterminer comment obtenir tel ou tel son multiphonique, de connaître l'influence de l'instrument et de l'anche sur le son multiphonique, etc..
    Et pourtant, c'est précisément ce que l'on voudrait tous savoir ! Ainsi, c'est afin de tenter de résoudre certaines points issus de cette réflexion qu'au cours de plusieurs études sur le sujet, à titre universitaire2 comme en tant que compositeur3 et bassoniste, je me suis penché sur la question.

    Convenant que répondre convenablement à toutes ces questions sur les sons multiphoniques relèverait de l'exploit, au moins aurai-je montré quelques points-clés du sujet sous forme d'un panorama allant de l'analyse acoustique des sons multiphoniques jusqu'aux premières problématiques du compositeur, à savoir leur(s) notation(s).

2. Définition du son multiphonique

    Les définitions entourant la notion de sons multiphoniques sont rares, et même souvent absentes des différentes méthodes pour basson existantes. Cela peut sembler paradoxal de proposer des notations de sons multiphoniques, sans définir correctement ce qu'ils sont.
    Aussi proposons-nous la définition suivante :
« un son multiphonique est le résultat d'une perception de plusieurs hauteurs simultanées par un jeu de divisions non-entières de la colonne d'air et d'une excitation acoustique unique. »

    A partir de cette définition, nous observerons que les sons que l'on qualifient habituellement de « sons harmoniques » ne s'y retrouveront pas, et que l'on parle bien d'une « excitation acoustique unique », ce qui éloigne des sons multiphoniques les sons à plusieurs sources émettrices, comme les sons diphoniques.
    Notons que cette définition est potentiellement valable pour tous les instruments à vent. Le basson est un instrument de choix pour produire ce type de sonorité, étant donné qu'il peut en produire beaucoup, notamment grâce à la richesse de son timbre.

    De ces sons multiphoniques, nous pourrons décomposer ceux-ci en quatre ou cinq grandes catégories (homogènes, hétérogènes, stables, instables, aléatoires). Pour les étayer, nous aurons recours, dans les explications qui suivent, à des résultats d'analyses informatiques.

3. Caractéristiques du son multiphonique lors de son analyse acoustique

Espace sonore

Le premier point à considérer, lors d'une analyse acoustique du son, c'est de définir une zone, ou plutôt des zones vers lesquelles cibler nos microphones.

    En 2008, j'ai mené une petite expérience, afin de déterminer ces zones. Lors de cette expérience, j'avais personnellement pris mon basson (système allemand), et une autre personne avait empoigné un microphone, le faisant tourner autour selon deux axes décrits par le schéma ci-dessous.

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    Le résultat, montré en Illustration 1, est représentatif de ce que l'on peut obtenir lorsque l'on teste les sons multiphoniques. La répartition des fréquences dans les différentes zones peut toutefois  varier. Dans le cas présent, les fréquences basses (les graves) sont très présentes en sortie de la petite branche, alors que les fréquences hautes (les aigüs) plutôt présentes du côté du bonnet4. Ces fréquences à l'intensité forte (dans l'illustration en jaune) forment des formants géographiques.

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Battements

Dans les caractéristiques des sons multiphoniques, nous retrouvons également la présence de « battements », perceptibles ou non. Ces battements se caractérisent par des atténuations soudaines et périodiques du son. Dans certains cas, quand cette périodicité est inférieure à environ 20Hz (c'est-à-dire 20 fois par seconde), on peut percevoir un rythme.

    Dès lors que cette périodicité est supérieure à 20Hz, on peut percevoir éventuellement une fréquence nouvelle perceptible comme hauteur grave. L'illustration 2 ci-dessous montre bien ce phénomène, surtout après le marqueur « 0.10 » (les hautes fréquences, sur la partie haute du sonagramme, illustrement bien ces coupures périodiques)

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L'absence de battements perceptibles définit un son multiphonique homogène, la présence de battements perceptibles définit un son multiphonique hétérogène.

Périodes

A un autre niveau se situent la notion de « périodes » qui sont soient des jeux de phases entre les fréquences, soit des battements sans coupure de son.

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Ces périodes sont notamment perceptibles lors de l'écoute, si l'on prête attention à l'évolution du timbre dans le temps.

Approximations dans la notion de hauteur

    L'une des caractéristiques qui va notamment poser problème lorsque l'on essaiera de retranscrire en accords nos sons multiphoniques, est la notion de hauteur.
    Par le fait que notre oreille déforme légèrement la perception des fréquences, et le fait que le son multiphonique évolue dans le temps, il semble indispensable d'une part de mesurer les variations de fréquences, et d'éventuellement corriger la mesure de ces fréquences avec un algorithme de simulation d'une perception d'humains5 d'autre part.

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L'illustration 4, ci-dessus, schématise le début d'une approche que j'exploite actuellement, afin de déterminer les variations des valeurs de fréquence à l'intérieur d'un son multiphoniques.
    Il s'agit de recueillir toutes les fréquences obtenues après analyse informatique6 d'un son multiphonique, de ne pas tenir compte du moment où elles apparaissent et disparaissent, puis de les ordonner de la plus petite valeur de fréquence à la plus grande valeur de fréquence. Ces fréquences sont converties en hauteurs7.
    Le résultat de cet ordonnancement laisse entrevoir l'existence de paliers, permettant ainsi de définir à la fois une valeur moyenne de hauteur par palier, ainsi que les valeurs les plus basses et plus hautes à l'intérieur de chaque paliers. Ces dernières valeurs nous permettent de connaître l'état de stabilité des hauteurs considérées.
    Cette approche a tendance à confirmer toute la difficulté de réaliser une notation convenable des sons multiphoniques sur une portée, simplement en tenant compte du fait que :

  1. Le son multiphonique est variable dans le temps
  2. Les fréquences extractibles des sons multiphoniques varient, parfois indépendamment, en intensité et en valeur nominale8.
  3. Plus généralement, ce qui est physiquement mesurable n'est pas nécessairement audible, et ce qui est audible n'est pas une perception stricte de ce qui est mesurable.

4. Pratique musicale : l'écriture (la notation)

    Partant des constatations des caractéristiques liées à l’émergence de nos sons multiphoniques, nous avons alors à nous préoccuper d'une autre grande (et inépuisable!) problématique qui est : la notation des sons multiphoniques.
    Plusieurs approches ont vu le jour. En tant que tel, chacune des notations étudiées essaie de répondre à sa manière à un ou plusieurs aspects formulables du problème. Nous avons décomposé ces notations en quatre grandes thématiques : l'écriture par la technique instrumentale, l'écriture par le résultat sonore, l'écriture hybride et l'écriture complexe.

L'écriture par la technique instrumentale

    L'écriture par la technique instrumentale, c'est tout simplement prendre appui sur les doigtés, la pression sur l'anche, la pression d'air.. pour décrire sous forme graphique comment produire tel ou tel son multiphonique.

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    L'illustration 5 ci-dessous en est l'exemple le plus simple, on écrit simplement le doigté de son multiphonique (qui, dans ce cas-ci, fait émerger systématiquement un son multiphonique instable)

L'écriture par le résultat sonore souhaité

    Autre méthode, rarement employée, est l'écriture qui consiste à décrire le son multiphonique tel que l'on voudrait qu'il « sonne », c'est-à-dire avec les hauteurs perceptives principales à reproduire.

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L'écriture hybride

    L'écriture hybride, c'est une façon double de noter sur portée :
la façon de produire le son,
une autre façon de l'écrire, suivant un schéma mnémotechnique et/ou par le biais de l'écriture par le résultat sonore. (comme pour l'illustration 7 ci-dessous)

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L'écriture complexe

    L'écriture complexe est une façon plus « travaillée par la composition » d'envisager le son multiphonique. Il s'agit alors d'incorporer le son multiphonique de la même façon que l'on dote n'importe quelle note, ou ensemble de notes, de trilles, d'appogiatures, de tremoli, etc...

5. Conclusions

Confrontés à la notation des sons multiphoniques, les bassonistes ont trois grands problèmes :
Comment bien lire la notation ? [La lecture]
Comment être sûr d'être conforme aux attentes du compositeur ? [L'idée musicale]
Suis-je capable de produire ce qui est écrit ? [La faisabilité]

    Tout au long de notre article, nous avons délimité les sons multiphoniques au travers de domaines comme l'acoustique instrumentale et la notation, qui peuvent laisser penser que l'étude en elle-même est cloisonnée.
    En réalité, l'étude des sons multiphoniques révèle plutôt un schéma en série qui part de l'excitateur (l'anche), passe par l'instrument notamment au travers d'une combinaison de pression d'air et de doigté, pour finalement s'épanouir à l'extérieur de l'instrument.
    Une difficulté d'exécution en amont aura comme conséquence de rendre instable le résultat en aval. C'est le défi qui nous est donné de renforcer la connaissance des sons multiphoniques, de les pratiquer régulièrement, afin de consolider cette chaîne, ce qui encouragera encore les compositeurs de notre époque à écrire pour le basson.

William Goudfreind

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